Conservatisme et réaction savent aussi porter des masques

Article intéressant de Jürgen Habermas publié dans le New York Times sur le concept de "Leitkultur", culture dominante ou culture basique, qui entend le rester au sein de l'Allemagne fédérale depuis qu'Angela Merkel annonça officiellement la mort du "multikulti" (multiculturalisme).
Un besoin de conservatisme donc dans l'opinion publique, qui est parallèle au besoin de figures charismatiques qui ne sont pas identifiées comme appartenant au monde professionnel de la politique, ainsi qu'à la volonté de se rassembler pour la défense de symboles d'identité locaux ou nationaux.

Pour les lecteurs avertis de la presse américaine, la comparaison avec leur propre pays risque d'être savoureuse. 

Même appel au conservatisme des valeurs américaines dominantes face à une pression extérieure (imaginaire ou non) de l'Islam radical, et une pression intérieure réelle des immigrés mexicains qui emportent leur latinisation et leur romanisation religieuse avec eux au coeur des grandes cités du pays emblème de l'Eglise réformée.

Même envie de la figure charismatique sortie du néant, nous pensons de suite à Sarah Palin, dont le principal dilemme reste d'éviter de produire une candidature présidentielle pour 2012 sous une bannière républicaine trop ouvertement affichée, car elle est gagnée par la peur d'apparaître comme une politicienne trop professionnelle.

Même mouvements grassroot, ceux du Tea Party, spontanés ou organisés et difficiles à évaluer et cerner, à visée conservatrice, qui traduisent la défense et l'affirmation des valeurs et symboles fondamentaux de la "LeitKultur" américaine des pères fondateurs.

Pour l'anecdote politicienne, on pourrait aisément croire que nous sommes dans une phase politique Occidentale où le recentrage s'opère non plus par décalage à gauche mais à droite. Ce serait ignorer la relative facilité avec laquelle les syndicats français on pu aisément mobiliser sur les retraites et créer une situation d'exception qu'a défini Dominique Moïsi comme une révolution réactionnaire française.

Ce serait assez futile de parler de manque de discernement de part et d'autres du fossé droite-gauche français, en fait il y a un point de réconciliation majeur, celui de la méfiance ou du retrait d'un set d'idées nouvelles qui ont accompagné la mondialisation ou la globalisation. Les syndicats et la gauche d'élection jouant le jeu du conservatisme national et social en incarnant la réaction face à la pression des contraintes économiques extérieures.

En tant que Geek, ou embrasseur de modernité, ce que nous pouvons dire sur ce chapelet de conventions que nous avons attaché bien légèrement au concept de glocalisation (car il faut bien identifier un monde nouveau, n'est ce pas ?) c'est que nous feignons d'ignorer nous aussi à notre tour, le fait que l'innovation technologique soit en crise majeure.

C'est à dire que nous avons, à l'identique de la société commune, nos conservateurs ou réactionnaires non pas sociaux, mais nos propres boulets industriels qui surinvestissent sur des notions conceptuelles qui n'ont que très peu de rapport avec l'identité du réseau (conservateurs à l'origine de l'éclatement de la première bulle d'Internet en 2000).
Des gens qui embrassent et se saisissent de l'Internet au nom de leurs valeurs télévisuelles et mécanismes d'influence, qui s'affichent dans la contemporéanité mais sont en essence figés dans les anciens automatismes de l'imposition de l'opinion.

Le bruit et l'effervescence des époques de mutation couvrent en effet l'infiltration opportune et tactique de maints mécanismes réactionnaires et conservateurs sous couvert de modernitude.
Les outils sont là mais le mouvement de la pensée fait défaut pour accompagner la légitime transformation. Lire à ce sujet un superbe billet d'Authueil qui révèle les incohérences du monde de l'innovation face à l'encouragement fiscal.

Pour résumer, si d'un côté nous avons une critique conservatrice d'un monde en transformation, nous héritons aussi de ceux qui se réclament de la transformation pour conserver leurs acquis institutionnels.
La voie la plus simple de désintoxication de ces mouvements parallèles n'est pas dans l'adoption de credos humanistes (c'est là où Jurgen Habermas est défaillant dans la conclusion de son article), ils sont souvent de l'ordre du simple constat, mais dans la compréhension de la mesure humaine et de ses propres limites qui sont aussi celles de ne pouvoir faire durer indéfiniment une position statique.

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