La charité, justification de la joie

"La charité, c'est-à-dire une justification inlassable de la joie d'exister, est le premier devoir de l'homme et le seul qui soit essentiel. Faire de sa vie et de la connaissance de soi une joie permanente - malgré les misères, les noirceurs, les péchés, les impuissances, les désespoirs - voilà un devoir vraiment viril, un devoir de l'homme et de son humanité. Faire de sa vie une victoire ininterrompue sur la mort, sur le mal, les ténèbres, voilà un devoir qu'aucune morale au monde ni aucune société ne peuvent ignorer. La joie d'être vivant, aussi désespérés que soient les marécages de l'âme et ceux des alentours, ne doit pas être confondue avec l'optimisme vulgaire de la simple existence biologique. La joie de vivre dépasse de loin le confort et la santé. Elle n'exclut pas la souffrance, l'agonie et le désespoir - au contraire, elle les implique. Car jouir de la vie n'est rien tant qu'elle ne soulève pas des obstacles et des crucifiements. Les joies dignes de ce nom ont enduré toutes les épreuves et les humiliations propres à l'homme, qui connaît dès lors le rassérènement que donnent le sentiment de la victoire de sa vie, la charité, la certitude de ne plus être le seul, le don qu'on fait aux autres et qui prouve que les autres existent, qu'on a franchi les frontières de son égoïsme, à l'intérieur desquelles naissait la souffrance."
Mircea Eliade
Océanographie

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