Si la Grèce sort de l'euro, il ne se passera rien

[Cet article réalisé en collaboration avec mon ami Marc Crapez, a été produit pour et publié dans le Figaro Vox]

Marc Crapez
Chercheur en science politique
Les élites se font des frayeurs en dénonçant l'extrême gravité de la situation. La présentatrice d'une chaîne d'info pointe un doigt accusateur en direction de son invité du jour: «Mais la situation est très grave, vous ne pouvez pas le nier!». Comme si ne pas prendre au sérieux ce psychodrame revenait à nier l'évidence. Attitude coupable.
Le référendum grec est accusé de populisme. De Sarkozy à Bayrou, tous les présidentiables prennent soin de faire des déclarations alarmistes. Ni vu, ni connu, s'il ne se produit rien. Et au cas où cela tournerait mal, nul n'irait ainsi leur reprocher le fameux «silence des intellectuels face à la montée des périls».

Beaucoup de bruit pour rien. Si la Grèce sortait de l'euro, il ne se passerait rien. Du moins, rien dans l'immédiat. Les positions sont, en effet, consolidées et l'affaire est déjà anticipée par les marchés. Certes, subsistent toujours des risques d'effet domino. Mais la chose est peu plausible. La crise de la dette grecque a déjà eu lieu. L'histoire ne repasse pas les plats.

Mais alors, pourquoi une telle fébrilité? D'abord, probablement, du fait d'une part de sincérité. À force d'écarter les pensées dissidentes, les élites s'auto-suggestionnent sans rencontrer de contradiction. Mais c'est surtout l'hypocrisie qui mène le bal. Non pas comme une anguille sous roche, mais au titre de la comédie humaine, avec ses rôles répertoriés depuis des lustres.
Les puissants se plaisent à agiter le spectre d'un scénario noir d'abord parce que c'est gratifiant. Les négociations marathon de la dernière chance font partie des douze travaux de l'exercice du pouvoir et permettent aux gouvernants de garder la main, aux techniciens d'ajuster les boulons et aux opposants d'exister.


Le microcosme a tellement prédit de scénarios catastrophe que sa réputation risquerait d'en prendre un coup si les Grecs sortaient de la zone euro sans que cela n'entraîne de dommages. Au regard de l'histoire monétaire des nations, un changement de devise est bête comme chou.


Ensuite, le microcosme a tellement prédit de scénarios catastrophes que sa réputation risquerait d'en prendre un coup si, un beau matin, les Grecs sortaient ou s'absentaient de la zone euro sans que cela n'entraîne de dommages. Au regard de l'histoire monétaire des nations, un changement de devise est bête comme chou. La Grèce ne fut-elle pas déjà la première à sortir de l'Union latine, lancée sous Napoléon III et qui rayonnait jusqu'en Amérique du Sud? Où irait-on si la sortie grecque entérinait un précédent! Ce mauvais exemple crédibilisait le fait que le politique peut reprendre la main, que l'Europe pourrait être retravaillée, ou réorientée, sans que cela ne la mette en péril.

Enfin ce train en cache un autre, les gens en cour redoutent que le roi ne soit nu. En effet, si la Grèce était passée par pertes et profits, elle ne pourrait plus servir de leurre aux attaques spéculatives. Comme le Portugal, par exemple, s'est suffisamment retroussé les manches pour être hors d'atteinte, les yeux pourraient se tourner vers une situation plus préoccupante pour la crédibilité de l'euro, celle de la France. En pure logique diplomatique, l'Allemagne s'étant débarrassée du point de fixation grec, éminemment médiatique et politique, aurait les mains et l'esprit libres pour étoffer son levier de contraintes sur un partenaire français très créatif dans les excuses.

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