Datajournalism ou impact-journalism ?

A l'heure de la transparence reine, rien non rien ne nous sauvera de la présentation inexacte des faits. Rien n'agira en prévention du fait qu'il soit possible de faire passer un mensonge entre deux vérités, ou quelques documents falsifiés au milieu d'une tonne d'authentiques.

La puissance de médias excités par la mode naissante du datajournalism masque des comportements qui, depuis longtemps, ont été distingués et signalés en matière de renseignement ou de jeu documentaire entre historien et idéologue : pouvoir juger de la nature et l'exactitude du document, mais aussi de son contexte d'élaboration, sa perception et la date (choisie ou non) de sa publication. Du fait de l'informatique, de sa vitesse inhérente et de l'ancienneté d'une tradition humaine, les intérêts particuliers des ambitieux, tout ceci concourt à ce que face à tout type de fuite de documents ou présentation imagée de ceux-ci, il faille toujours mettre en alerte son esprit critique et, de loin, son sens de l'évaluation.
Rien ne pourra se substituer en effet dans les esprits à l'exercice le plus personnel et le plus cru de sa propre analyse. De fait, il faudra se résoudre à ce que l'éducation ne s'effectue plus sur des résumés et une présentation biaisée d'un savoir consommable destinés à préparer la jeune femme au jeune homme au monde actuel, mais sur l'analyse et la connaissance d'œuvres du passé, qui permettent de saisir les mécanismes de la tromperie, de la trahison et de la désinformation in situ.

Je prends pour exemple la récente découverte des notes et documents, classés secrets, de l'armée américaine sur la guerre d'Afghanistan par Wikileaks.
Le monde semble émoustillé, Julian Assange dans sa récente conférence de presse est dans le juste lorsqu'il relativise la découverte quand il dit : “Les gens en Irak, les gens en Afghanistan, ils n’ont pas besoin de vidéos. Ils voient ça tous les jours !
Il aurait pu rajouter que la lecture d'un ouvrage de 2006 de Robert Fisk sur les rapports de l'Occident avec le Proche et Moyen-Orient, était largement suffisante pour approcher, savoir et connaître la réalité de la guerre en Afghanistan. Bien d'autres livres de reporters aussi, donnèrent une vision adéquate de ce conflit, on ne découvre donc rien de plus ni de moins par les bonnes bonnes vieilles méthodes du journalisme et de l'investissement personnel sur place.

En terme d'authenticité donc, le datajournalism ne fait pas une différence qualitative. Mais la quantité est subjuguante... l'énormité de la faille à laquelle la Maison Blanche doit à présent faire face est réelle : plus de 92000 notes et documents, soit la potentialité d'années de micro-procès à l'administration face à tel ou tel document ou note précise, qu'il faudra justifier par une remise en contexte appropriée, voire impossible.
Et l'impact du datajournalism lui donne ainsi tout son sens et son attraction : un moyen de pression majuscule, car sur la durée, qui peut porter des effets incroyables, salvateurs comme pervers sur la société dans son ensemble.
Allons plus loin en notant que les officines de renseignements ne seront pas en reste dans cette guerre là, les fuites organisées à base de mélange de documents réels et de quelques uns falsifiés trouveront une place quasi-quotidienne.
Déjà, à son époque, Talleyrand en tant que ministre des relations extérieures, avait un bureau dédié à la production de faux, et possédait des relais humains dans les rédactions de journaux choisis.
Comme toujours, la suffisance et l'idiotie vont continuer à se battre dans les médias, en toute bonne volonté, et ceci pour l'éternité. La manipulation la plus vulgaire côtoiera le ressenti le plus savamment orchestré. On ferait bien de renommer le datajournalism plus honnêtement et correctement "impact-journalism", mais la vérité n'en apparaîtra pas plus au détour d'une de ses cartes ou rendu statistique.

Commentaires

  1. Il n'est pas pertinent de parler de "datajournalism" dans le cas des documents publiés par Wikileaks. Il est question, en l'espèce de documents; pas de données.
    Les données sont des informations balisées dans un format exploitable, par exemple un fichier excel. Cela permet notamment d'en faire des graphes, ou toute forme de visualisation.
    Je constate que vous avez le souci de la définition juste, je tenais donc à partager avec vous cette précision. Pour davantage d'information sur le sujet, le billet de Novövision sur la question est fort intéressant : http://novovision.fr/war-logs-de-wikileaks-ou-le-datajournalism-sans-data
    Bien à vous,

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  2. Ah très bien...
    Je ne faisais que reprendre le terme de la soucoupe http://owni.fr
    C'est très bien que novovision s'intéresse à la redéfinition du "datajournalism".

    L'argument de Thibaut Thomas dans l'article que vous avez indiqué, tient la route lorsqu'il dit que des documents complexes ne sont pas des données brutes.

    Cependant, toutes les datas ne sont pas que des données brutes, mais aussi formatées et dans n'importe quel sens.
    Il faudrait dire à TT qu'en informatique, tout se réduit à des 0 et des 1, même le document le plus complexe.
    Google pour ne citer qu'un exemple célèbre, ce qui me met à l'abri de toute contestation, exploite tout type de document alphabétique, qu'ils soient page HTML, PDF ou tirés d'une suite bureautique quelconque.

    Je vois donc que le datajournalism né des efforts de transparence (sans en être vraiment, de la transparence...) des institutions sur les données qu'elles avaient à disposition, s'étend à présent en direction de réservoirs de documents, non sollicités et non livrés avec un contexte laissé cruellement de côté car ce ne serait pas exploitable à la manière de données brutes...

    Je n'en suis pas sûr, mais la question mérite d'être posée.

    L'essentiel de ce que je dis est qu'en fait nous assistons à autre dans l'esprit qu'à du datajournalism, vous, vous dites de concert avec Narvic et TT qu'il ne l'est pas dans la lettre.
    Cela ne me dérange nullement.
    Merci d'être passé.

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