Civilisation 2.0
Rien ne peut mieux évoquer la douce plainte, au moment initial de cette Ère dans laquelle nous entrons, que cet extrait de "Vérités et mensonges" d'Orson Welles. Cette incapacité, depuis le début les temps modernes, de l'homme occidental de se mettre à l'unisson dans des célébrations collectives qui n'étaient pas de l'ordre du spectaculaire ou de la pure référence sociale, va disparaître.
Doucement, nous redécouvrons les bienfaits du don, de l'investissement anonyme, ou de la culture populaire, grâce à des exemples comme Wikipédia, ou l'immersion dans des heures de beauté en parcourant à l'aventure Flickr, ou les quelques textes de blogs qui ont pu marquer nos instants de vie, etc.
Lentement, mais sûrement, nous échappons au formatage culturel des anciens médias, qui produisaient des abcès de fixation, nommés "stars", pour le public.
Narvic cite l'effet Susan Boyle, pour tenter de marquer un point en faveur de l'esprit de résistance des mass média, mais c'est, à mon avis, oublier que les médias anciens cherchent à nous la jouer "populaire" car ils sentent bien que des décennies de sourires carnassiers ne sauront leur rendre ni crédit, ni authenticité. Ils ont deviné qu'il ont perdu, sans le savoir, une bataille importante dans cette émergence de la culture des communs. Alors... ils font comme ils peuvent pour retarder l'échéance de leur exclusivité.
Avec la fin progressive de la société du spectacle, nous perdrons peut-être nos quinze minutes de célébrité, mais nos existences éprouveront d'autres systèmes de relations et d'interactions. D'autres expériences qui relanceront l'art au quotidien et nous n'aurons plus peur de nous exprimer car nous retrouverons l'envie sous l'anonymat relatif que procure la multitude en réseau.
Un papier récent de Jeff Jarvis s'appuyant sur un article du Wall Street Journal, cite les chiffres suivant pour les Etats-Unis, 20 million de blogueurs en tout, 1,7 millions payés pour ce travail, et 452000 dont cette activité est devenu leur première source de revenus. Cela fait plus de blogueurs payés que de patrons d'entreprise, remarque Jeff Jarvis.
Pendant ce temps, des Etats européens comme la France luttent avec les syndicats patronaux pour que l'on attribue une part acceptable de bénéfices des entreprises aux employés. Cela va être difficile à accepter pour une société où nous sommes nombreux à avoir intégré que l'anonymat conditionnait la précarisation et le mépris social. J'ai cité ce double mépris dans d'autres notes, l'un top-down, l'autre bottom-up, expérimenté pour peu qu'on ait vécu des deux côtés de la barrière dans une organisation.
Il y a donc des signes que sous la pression du Réseau, des valeurs admises commenceraient à s'inverser. Peut-être que le nom, ou la signature, d'un homme, ou d'une femme, ne devrait pas compter autant que ça l'est si nous voulons recouvrer collectivement un peu de tranquillité et d'espoir...
P.S. : je laisse le texte à disposition de ceux qui veulent le traduire ou ont des difficultés à le comprendre à la volée.
“Now this has been standing here for centuries. The premier work of man perhaps in the whole western world and it’s without a signature. Chartres.
A celebration to God’s glory and to the dignity of man.
All that’s left, most artists seem to feel these days, is man. Naked, poor, forked radish. There aren’t any celebrations. Ours, the scientists keep telling us, is a universe which is disposable.
You know it might be just this one anonymous glory of all things, this rich stone forest, this epic chant, this gaiety, this grand choiring shout of affirmation, which we choose when all our cities are dust; to stand intact, to mark where we have been, to testify to what we had it in us to accomplish.
Our works in stone, in paint, in print are spared, some of them for a few decades, or a millennium or two, but everything must finaly fall in war or wear away into the ultimate and universal ash: the triumphs and the frauds, the treasures and the fakes.
A fact of life… we’re going to die. ‘Be of good heart,’ cry the dead artists out of the living past. Our songs will all be silenced - but what of it? Go on singing. Maybe a man’s name doesn’t matter all that much.”
F for Fake, Orson Welles
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