Apprendre à donner le contrôle

Trouvé le premier billet de Francis Pisani concernant le compte-rendu du livre de Jeff Jarvis "What Would Google Do?" sur le fil Twitter novövision qui risque d'être un précieux gain de temps pour tous ceux qui aiment la substance traitée par narvic : les NTI et le futur du journalisme.
L'idée essentielle de l'ouvrage résumée en quelque lignes par Mr Pisani : La leçon la plus évidente, celle que Jarvis répète à longueur de pages c’est que les institutions - aussi bien publiques que privées - doivent s’ouvrir. “Donnez le contrôle aux gens et nous l’utiliserons,” écrit-il. “Ne le faites pas et vous nous perdrez.”
Perdre quel soutien ? celui de ses clients, ses utilisateurs, ses employés.
Cette idée de laisser le contrôle n'est pas neuve, mais elle prend à contre-pied l'aboutissement d'une culture économique soit disant libérale que l'on a parfois brocardé par le terme ultra-libéral et qui a commencé d'être mise en oeuvre en réponse au premier choc pétrolier de 1974 - l'acte unique européen de 1986 d'inspiration deloriste est un de ses avatars les plus significatifs pour notre culture européeene et française.
L'ouverture à une concurrence accrue s'est traduite au niveau des grandes organisations par un renforcement de la centralisation du commandement et un contrôle en interne sur les personnes, appelées ressources humaines, une efficacité qui prônait la rationalisation ultime par l'encadrement des libertés des personnes les plus proches du terrain sous des procédures, accompagné d'un contrôle externe des consommateurs par leur téléguidage grâce à une collusion de pouvoir, stimulée par la finance, entre le personnel des médias devenu obéissant et la publicité - interrogation centrale du discours d'Edward R. Murrow reproduit dans le film "Good Night, Good Luck"
Il semble que nous ayons persisté dans l'effort sur cette voie depuis une trentaine d'année, jusqu'à l'extrémité du monde, extrémité au sens physique à une époque, lorsque l'on croyait que la terre était plate, et que la fin des océans conduisaient à des zones où, avant de tomber dans le précipice, des monstres marins allaient détruire ou engloutir votre précieuse nef.
Fin du politique, fin de l'histoire, pensée plate comme la terre, puis renaissance de la pensée magique, à l'instar de nos ancêtres, courbette idiote sous la pluie des incertitudes : l'arrivée d'Internet et de ses monstres tels que Google, et autant de Nemesis qui nous feraient courir à notre perte. Je plaisante à peine, même des blogueurs assemblés autour d'un ministre s'inquiètent de tels monstres.
Face au vent de panique qui traverse les médias et les industries culturelles, la fin annoncée de la publicité telles que nous l'avons vécu, Jeff Jarvis s'enthousiasme non par optimisme, mais du fait de son observation,  s'agite et souligne en gras les nouveaux impératifs de la vie en réseau qui pourraient constituer un salut : les voies de transformation.
Donner le contrôle donc, mais pourquoi ? où se situe la source ? quand cette règle a-t-elle émergée ?
Dans l'expérience technologique liée au développement de l'Internet. 
Deux visions, cousines et concurrentes, celle du mouvement Open Source, accidentelle et expérimentale, et celle de la Free Software Foundation, historique et éthique.
Ce principe de l'abandon du contrôle a été énoncé dans un ouvrage célèbre "La Cathédrale et le Bazar" écrit par Eric S. Raymond, co-fondateur du mouvement Open Source, en 1998. En se basant sur l'expérience inédite des projets collaboratifs sur l'Internet, notamment les méthodes novatrices qui ont conduit à la naissance de Linux, Eric S. Raymond a réussi à extraire et poser un jeu de règles qui permettent de connaître le succès opérationnel en réseau. Celles-ci étaient nommé le Bazar. Parmi ses règles, les premières étaient celles qui concernaient l'abandon du contrôle.
A l'époque, même dans le monde unixien, on imaginait mal qu'il était possible de concevoir un logiciel aussi sophistiqué et complexe qu'un système opérationnel, sans adopter le modèle de la Cathédrale technologique : c'est à dire une structure de développement restreinte à quelques développeurs sous la direction exclusive d'un éminent spécialiste, tous retirés du monde un peu comme des moines.
Linus Torvalds avait inventé le modèle du Bazar pour l'élaboration de Linux, c'est à dire celui de la confiance et donc de liens ténus avec une communauté de milliers de développeurs, et même des non-experts. limitant progressivement son rôle à celui d'un arbitre, pour les quelques cas où la communauté ne serait pas d'accord sur une direction à choisir. Peut-être certains continuent-ils de croire au miracle, mais c'est la première expression dans un modèle de production à ce niveau de complexité où il a été établi qu'il existe une relation inverse entre contrôle et confiance.
L'argumentaire de la Free Software Foundation est peut être plus ancien, mais ce n'était qu'une intuition avant que de connaître l'exemple de Linux, renforcé plus tard par le succès d'aventures à l'éclosion tout autant soudaine qu'improbable : Wikipedia et Google. 
La FSF mène un combat contre le système de brevets dans le monde anglo-saxon qui autorise la protection au niveau conceptuel et la propriété intellectuelle ; dans son optique, ces inventions humaines ont systématiquement servi de frein à l'amélioration collective de produits de l'intelligence tels que les logiciels. Pour quelles raisons ? parce que ces protections industrielles ont permis à quelques acteurs puissants d'organiser une économie de la rareté autour de leurs solutions et d'imposer le contrôle sur leur clientèle en transformant leur offre initiale en passage obligé.
Deux exemples viennent à l'esprit : Microsoft pour son système opérationnel Windows sur PC et dans une moindre mesure la suite Office, Facebook pour l'application de la théorie du Walled Garden : c'est à dire du contrôle par la soumission du client à un univers clos, ou seule l'étendue de l'offre de Facebook est accessible, des fois qu'il lui prenne l'idée saugrenue de s'échapper ou de revenir sur le Web.
Au-delà du point de vue éthique basé sur la liberté des acteurs et le partage de la connaissance, le jugement de la FSF est que des instruments de contrôle tels que la propriété intellectuelle et le système de brevets sont globalement inopérants dans une structure ouverte telle que l'Internet, dès que les outils technologiques ont été rendus accessibles à l'ensemble des individus.
"We were wanderers from the beginning. We knew every stand of tree for a hundred miles. When the fruits or nuts were ripe, we were there. We followed the herds in their annual migrations. We rejoiced in fresh meat. through stealth, feint, ambush, and main-force assault, a few of us cooperating accomplished what many of us, each hunting alone, could not. We depended on one another. Making it on our own was as ludicrous to imagine as was settling down."
Carl Sagan - Pale Blue Dot

Commentaires