Printemps 2009 : constat de guerre froide

Deux personnages qui n'ont rien à voir entre eux, l'un, Umair Haque, Directeur du Havas Media Lab, anglophone, intellectuel nomade des NTIC, l'autre, Philippe Bilger, francophone, sédentaire humaniste, Avocat Général à la cour d'assises de Paris, arrivent au même constat, celui d'une nouvelle forme de guerre froide qui s'installe au sein des nations à base d'une grande divergence ou non-communication entre les puissants et non-puissants.
Ce que voit Umair Haque est une véritable inversion des valeurs dans la pratique. Un système de protection d'urgence, sur la garantie des générations futures ou du contribuable est mis en place, et assuré par la puissance publique aux financiers, aux banques, aux élites des conseils d'administration, etc. tandis que l'adaptation au marché et le support du fonctionnement capitalistique actuel avec toute ses incertitudes sont réservés au masses salariales, du simple employé au cadre supérieur. Le capitalisme pour les pauvres et le socialisme pour les riches.
J'espère que Philippe Bilger que je lis assidument me permettra de citer ce court extrait de son beau verbe. Allez lire l'article en entier, il mérite le détour.
"Le recours à la justice, dans une démocratie, me semble la sagesse même mais devant de tels épisodes où le désespoir social s'en donne à coeur joie et avec bonne conscience, je me demande si les remèdes traditionnels demeurent appropriés. Un monde déteste l'autre et leur communication est rompue. Cette donnée change tout. Comment réconcilier, apaiser ? Comment faire revenir la paix même armée de la République à la place de ce bout, de ce fragment, de ce morceau d'inconnu, d'étrangeté et de chaos ?"
Ce que voit Philippe Bilger, c'est l'installation du phénomène de guerre froide envisagé par Haque, du fait que ces deux mondes se regardent et sont arrivés au bout de leur détestation réciproque. Que nous ne sommes pas au point d'une révolution mais d'explosions joyeuses et chaotiques d'incivisme en série, nées du désespoir social, auxquelles l'Etat ne peut plus répondre que par des opérations tactiques de containment et non par la répression, car il n'aurait plus en main, en cas de sortie d'évènement irréversible, la clé du rétablissement du dialogue social, voire pire, celle de l'unité perdue du pays. L'épisode de la crise de mutisme ou d'impuissance avérée du principal syndicat patronal, plongé en pleine campagne électorale, et sévèrement adressée par Alain Minc lui-même, à certains égards, n'a pas non plus manqué de sel. 
Nous arrivons donc bien à un climat continu de défiance et d'hostilité cousu de multiples frictions successives qu'il faudra bien gérer individuellement et collectivement. Et pourtant cette guerre froide, même si elle devient un lieu commun dans les années qui vont suivre, ne pourra enrayer deux phénomènes qui commencent de s'enclencher : la prise de contrôle progressive des institutions économiques fondamentales par les Etats, car les Etats ne sauraient investir sans convoiter, prendre et assumer leur nouvelle part de pouvoir et de responsabilité, et d'un autre côté, l'ajustement psychologique de leur consommation par les individus et les familles tout en faisant éclore de nouvelles stratégies de vie et de développement personnel. Inutile de dire, que nous assisterons nécessairement à l'effondrement de la société de consommation telle que nous la connaissons ainsi qu'à une remise en cause du fonctionnement du secteur publicitaire et médiatique tel que nous le quittons.
Et c'est à ce signal que les politiques de demain disposeront de leur fenêtre d'opportunité pour opérer une jonction, c'est à dire faire preuve d'imagination pour réconcilier les étages de la société en créant de nouvelles formes institutionnelles plus adaptées aux récentes technologies, n'ayant plus besoin d'amener ou de convaincre un cercle restreint d'intérêts privés à ses positions sociétales. 
Nul besoin de remettre en cause la liberté économique au niveau des communs, ce n'est pas un sujet à Grand Soir, mais il y aura là, peut-être, une nécessité de devoir rompre avec certaines habitudes de pensée démocratiques que nous qualifions de modernes en échange d'une redistribution des pouvoirs et des contrôles sur un nouveau mode de contrat citoyen qui intègrera de nouvelles formes de responsabilisation par le participatif.
Restons optimistes, ou rêvons encore, cela peut être une chance de régénération pour un système républicain français qui, malgré une expression solide et concrète, souffrait toujours de complexe d'infériorité face à un idéal démocratique post-culturel et post-traditionnel qui n'était pas le sien, idéal qui a, en dépit de toute ses promesses de bonheur insouciant et matériel, globalement failli devant l'humain.

Commentaires

  1. Beau discours subliminalement ségoliste. Bravo Thierry, encore un effort... Eh oui, le participatif doit remplacer un dialogue social et sociétal bloqué et moyenâgeux, faute de quoi la guerre froide pourrai être victime du réchauffement climatique....

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  2. @JP
    Je vois que tu es en forme, même sur ton site de la Fédération des Yvelines.

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  3. Perso, je faisais presque la même analyse, enregistrant d'un point de vue presque concordant, à peu près la même chose au début de l'année : La Révolte des méprisés !

    (http://infreequentable.over-blog.com/article-26339438.html )

    Pourtant, nous ne sommes pas du tout du même "horizon politique".

    Mais nous restons vraisemblablement tous les deux démocratiquement attristés, désespérant de notre pays peut-être !

    Bien amicalement...

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  4. @I²
    Je vous remercie de ce commentaire.
    Je reste quand même assez optimiste, le pire qui pourrait sortir de cette période serait un retour à l'ordre récent, sans évolution des esprits et dans la société.
    Le fait qu'on soit au niveau politique dégagé des idéologies, devrait autoriser beaucoup d'innovations et de tentatives de changer les rapports dans la société.
    C'est une période ou jamais le politique n'a eu autant de liberté d'agir.

    Amicalement

    Thierry

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