Ecran noir ou écran de fumée ?
Il est vraiment dommage qu'une initiative "réseau des pirates" ait pu se construire à l'occasion de l'épiphénomène "loi Hadopi."
Ce qui est dommageable c'est lorsque l'on quitte le terrain du lobbying de la société civile et des manifestations de bon aloi comme l'écriture d'un courriel personnalisé à son député, on tombe dans l'inanité du pétitionisme de principe, qui est le prototype de la manifestation adolescente du monde intellectuel et culturel depuis les années 70 au moins.
Il suffit de lire les premières signatures du "manifeste des pirates" pour se rendre compte que nous avons affaire non à des technologistes, mais à des membres du showbizz des communicants appartenant à l'opposition gouvernementale.
Il n'y a pas même matière à provocation, mais plutôt à dérision - la provocation du pauvre comme le souligne Philippe Bilger dans un de ses superbes articles. Dérisoire en effet de reprendre le terme de pirate, dérisoire d'adopter depuis le début la couleur noire réservée seulement à ces quelques aristocrates de l'informatique que sont les Hackers Black Hat.
Ce genre de showbuzz (tiens, joli terme) fait du tort à ceux qui luttent depuis longtemps pour la liberté sur le terrain des réseaux informatiques, car les qualificatifs de "pirate", de "communiste", voire sous l'administration Bush de "soutien du terrorisme" ne leurs ont pas été épargnés.
En voulant faire du médiatique en se réappropriant de manière dérisoire et ironique le terme de "pirate", ainsi qu'en reprenant la bannière noire d'aventurier que ces amateurs de l'Internet en chambre n'ont jamais éprouvé, ces signataires ne font qu'entretenir une confusion dans l'esprit du public au nom d'un gag douteux, à propos de réels combats argumentés par exemple par la Free Software Foundation .
Alors nous avons un showbuzz alimenté de twitterades et de blogueries, où tout le monde peut revêtir son costume de Zorro à moindre frais et simuler l'attitude du rebelle sans en assumer les risques.
Mais qu'en est-il des combats du futur ? l'arbre ne cache-t-il pas la forêt ? notamment de l'emprise de réseaux sociaux et culturels aménagés pour le grand public, et ce manque de recul évident de nos communicants par rapport à Facebook, l'Iphone, Kindle, Twitter, etc. (même si ce sont par ailleurs de superbes produits commerciaux.)
Je dirais qu'il ne faudra pas compter sur ces communicants, même s'ils ne sont pas de gauche, pour pousser le showbuzz jusqu'à mettre en danger leur futur showbeurre.
Redécouvrons à l'occasion La Fontaine :
Rien n'est si dangereux qu'un ignorant ami;Mieux vaudrait un sage ennemi.
Chacun se dit ami; mais fou qui s'y repose:
Rien n'est plus commun que ce nom,
Rien n'est plus rare que la chose.
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