La Transparence ou le "Coca Light" technologique
Le débat continue, à la suite de l'essai de Lawrence Lessig, sur le site du magazine The New Republic. Rappelons que Lessig en tant que juriste de renom, après s'être occupé de droit d'auteur, se concentre récemment sur la montée exponentielle des investissements du lobbying au Congrès américain, qui, d'après lui, s'est récemment transformé en véritable mécanisme de corruption officielle.
On a cru Lessig attaché à la croisade de la Sunlight Foundation et de sa co-fondatrice Ellen Miller, mais cela ne semble plus le cas, puisqu'il met en garde sur les modalités d'application et le zèle de ce mouvement pour la transparence (rendre public par le Web les données parlementaires et gouvernementales), qui risquent, si ce dernier n'est pas mieux pensé et accompagné, de transformer la démocratie en véritable champ de bataille, dressant les citoyens contre les élus et inversement.
Tim Wu, lui, pense que Lessig n'est pas allé assez loin, et qu'il a manqué le point essentiel de ce que l'on pouvait opposer au mouvement pour la Transparence et du Gouvernement 2.0.
Il signe un brillant article, empreint de pensée classique d'origine chinoise et sans complexe. S'inspirer de la tradition est toujours un pas majeur pour un technophile, car on aboutit généralement à un regard qui englobe l'humanité, plutôt qu'à une forme de reporting des sciences humaines qui souvent se noie dans un verre d'eau conceptuel.
Une vision que l'on rencontre rarement, mais qui n'est pas sotte, que la technologie n'est pas là pour remplacer la décision, qu'elle ne le peut pas. On rejoint un peu la pensée de Robert Kahn, l'architecte de l'Internet, lorsqu'il affirme qu'en matière de design de réseau les décisions importantes se partagent à 10% pour la technologie et le reste appartenant à la politique.
Pour se placer définitivement parmi les hérétiques, on pourrait ajouter que ni les difficultés, ni les joies de l'être humain sont effacées par la pratique de l'Internet, mais que la vie réelle est toujours là en profondeur, et que le tragique ou la comédie de l'existence n'ont en aucun cas disparu et surtout pas dans la récente croute artificielle et mobile que l'on appelle Web social.
Tim Wu commence par qualifier de mythe de la civilisation américaine, que des contraintes externes imposées sur les pratiques politiciennes produiraient nécessairement du bon gouvernement. Que le politique serait à envisager comme une forme de chimie ou d'ingénierie, qu'il suffirait d'appliquer telle ou telle action extérieure sur une subtile mécanique pour en corriger des dysfonctionnements.
De fait, en ne manquant pas de citer Lao Tseu au passage, il constate exactement l'inverse : l'exercice d'une pression morale extérieure ne fait que produire un alibi de bon comportement ou une sorte de validation positive automatique de l'action du parlementaire ou du ministre, qui, en se conformant à ces procédures peut continuer d'exercer comme bon lui semble à l'abri de ce paravent.
Trop de transparence renforcerait la ruse initiale des acteurs, signe alors l'échec de ce qui est recherché par la Transparence, puisque les politiques finiront par s'esquiver derrière cette transparence pour ne pas avoir à rendre compte d'autre vertu que celle d'obéir et de se conformer à ce cadre exigé et mise en place par la société civile.
Cela encourage même au bout du compte à une forme de déresponsabilisation. L'apparence d'un passeport en règle n'a en effet jamais permis de détecter un terroriste
A l'évidence, être ou paraître conforme aux attentes du public est un point qui entretient certainement une confiance réciproque, mais en aucun cas ne permet de s'assurer de la compétence de l'élu, ni de sa vertu, ni de sa volonté d'améliorer le destin de ses électeurs, qualités qui appartiennent à la personne mais pas aux règlements et modèles comportementaux qu'on lui impose de l'extérieur.
Une analogie amusante est celle de la mode des années 80 du Coca Light (Diet Coke) ou des produits sans graisses (low or fat free) dans l'industrie alimentaire américaine, qui répondaient à un besoin puis à une ordonnance du public, mais en fait n'a pu que déplacer les problèmes de santé des personnes sans pour autant transformer l'américain moyen en homme mince et élégant.
La Transparence serait en fait le Coca Light politico-technologique d'aujourd'hui. Voici où en sont les illusions américaines, que de simples applications Web permettront de résoudre les habitudes de corruption entendues comme effets du lobbying intensif.
Tim Wu conclut assez justement que dans l'élection 2008, les américains ont choisi entre deux personnalités qui s'appuyaient sur le thème changement, et « qu'ils ont voté non pour des cures politiques à la mode, mais pour un type différent de leader.
En fin de compte, c'est peut-être la seule réforme qui fera une différence. C'est un changement, non sur ce que l'on connaît des personnes qui sont en charge du pouvoir, mais plutôt sur qui elles sont. »
Bien joué, Tim.
Photographie - Tim Wu - Wikimedia commons
On a cru Lessig attaché à la croisade de la Sunlight Foundation et de sa co-fondatrice Ellen Miller, mais cela ne semble plus le cas, puisqu'il met en garde sur les modalités d'application et le zèle de ce mouvement pour la transparence (rendre public par le Web les données parlementaires et gouvernementales), qui risquent, si ce dernier n'est pas mieux pensé et accompagné, de transformer la démocratie en véritable champ de bataille, dressant les citoyens contre les élus et inversement.
Tim Wu, lui, pense que Lessig n'est pas allé assez loin, et qu'il a manqué le point essentiel de ce que l'on pouvait opposer au mouvement pour la Transparence et du Gouvernement 2.0.
Il signe un brillant article, empreint de pensée classique d'origine chinoise et sans complexe. S'inspirer de la tradition est toujours un pas majeur pour un technophile, car on aboutit généralement à un regard qui englobe l'humanité, plutôt qu'à une forme de reporting des sciences humaines qui souvent se noie dans un verre d'eau conceptuel.
Une vision que l'on rencontre rarement, mais qui n'est pas sotte, que la technologie n'est pas là pour remplacer la décision, qu'elle ne le peut pas. On rejoint un peu la pensée de Robert Kahn, l'architecte de l'Internet, lorsqu'il affirme qu'en matière de design de réseau les décisions importantes se partagent à 10% pour la technologie et le reste appartenant à la politique.
Pour se placer définitivement parmi les hérétiques, on pourrait ajouter que ni les difficultés, ni les joies de l'être humain sont effacées par la pratique de l'Internet, mais que la vie réelle est toujours là en profondeur, et que le tragique ou la comédie de l'existence n'ont en aucun cas disparu et surtout pas dans la récente croute artificielle et mobile que l'on appelle Web social.
Tim Wu commence par qualifier de mythe de la civilisation américaine, que des contraintes externes imposées sur les pratiques politiciennes produiraient nécessairement du bon gouvernement. Que le politique serait à envisager comme une forme de chimie ou d'ingénierie, qu'il suffirait d'appliquer telle ou telle action extérieure sur une subtile mécanique pour en corriger des dysfonctionnements.
De fait, en ne manquant pas de citer Lao Tseu au passage, il constate exactement l'inverse : l'exercice d'une pression morale extérieure ne fait que produire un alibi de bon comportement ou une sorte de validation positive automatique de l'action du parlementaire ou du ministre, qui, en se conformant à ces procédures peut continuer d'exercer comme bon lui semble à l'abri de ce paravent.
Trop de transparence renforcerait la ruse initiale des acteurs, signe alors l'échec de ce qui est recherché par la Transparence, puisque les politiques finiront par s'esquiver derrière cette transparence pour ne pas avoir à rendre compte d'autre vertu que celle d'obéir et de se conformer à ce cadre exigé et mise en place par la société civile.
Cela encourage même au bout du compte à une forme de déresponsabilisation. L'apparence d'un passeport en règle n'a en effet jamais permis de détecter un terroriste
A l'évidence, être ou paraître conforme aux attentes du public est un point qui entretient certainement une confiance réciproque, mais en aucun cas ne permet de s'assurer de la compétence de l'élu, ni de sa vertu, ni de sa volonté d'améliorer le destin de ses électeurs, qualités qui appartiennent à la personne mais pas aux règlements et modèles comportementaux qu'on lui impose de l'extérieur.
Une analogie amusante est celle de la mode des années 80 du Coca Light (Diet Coke) ou des produits sans graisses (low or fat free) dans l'industrie alimentaire américaine, qui répondaient à un besoin puis à une ordonnance du public, mais en fait n'a pu que déplacer les problèmes de santé des personnes sans pour autant transformer l'américain moyen en homme mince et élégant.
La Transparence serait en fait le Coca Light politico-technologique d'aujourd'hui. Voici où en sont les illusions américaines, que de simples applications Web permettront de résoudre les habitudes de corruption entendues comme effets du lobbying intensif.
Tim Wu conclut assez justement que dans l'élection 2008, les américains ont choisi entre deux personnalités qui s'appuyaient sur le thème changement, et « qu'ils ont voté non pour des cures politiques à la mode, mais pour un type différent de leader.
En fin de compte, c'est peut-être la seule réforme qui fera une différence. C'est un changement, non sur ce que l'on connaît des personnes qui sont en charge du pouvoir, mais plutôt sur qui elles sont. »
Bien joué, Tim.
Photographie - Tim Wu - Wikimedia commons
Thierry,
RépondreSupprimerpour avoir échangé avec Lessig sur le sujet, je crois que tu t'emportes quelque peu sur l'interprétation que tu fais de son papier. Il sera à Paris d'ici la fin de l'année, je vais faire en sorte qu'il clarifie tout cela, aux US, il ne reigne pas une telle confusion...
Que tu mène ta croisade contre la net neutrality et la transparence, soit, mais que tu utilise Lessig pour le faire, ca risque de te retomber dessus de façon ridicule.
Une question, j'aimerais savoir où j'utilise Lessig contre la Net neutrality ? Je ne vois pas sur mon Blog, montre moi où ?
RépondreSupprimerJe ne vois donc pas ou "j'utilise Lessig" pour le débat sur la Net neutrality. C'est plutôt moi qui suis en droit de te demander clarification là-dessus, sur ce genre d'amalgame.
J'aimerais avoir une réponse précise de ta part, car je crois que tu es monté dans les tours.
Sur mon utilisation éventuelle de Lessig, sur la Transparence, tu postes sur le mauvais article, celui-ci concerne l'avis de Tim Wu.
Tu remarqueras que j'utilise plutôt l'avis critique de Tim Wu, duquel je me sens proche.
Mon article sur l'essai récent dans The New Republic n'est qu'un compte-rendu, et ma vision rencontre celle de Malamud et de Zuckerman, sur la compréhension de ce qu'a écrit Lessig. Une mise en garde sur des dangers potentiels, une critique assez lourde, mais nullement radicale.
Donc je ne vois pas pas où j'utilise Lessig sur une quelconque croisade sur la Transparence. Si l'essai de Lessig n'avait pas rencontré autant de réactions, je n'aurais point fait de compte-rendu.
Dernièrement, ce que je fais c'est un Blog, ce n'est pas une circulaire abordant la superficialité des débats touchant à la technologie, je vais chercher en profondeur ce qui coince, pour tenter de décaler les vues d'ensemble trop rapides et vulgarisatrices qui coincent et s'auto-contredisent au niveau de la compréhension.
Oui, je sais, les débats de savoir qui est le mieux Friendfeed, Facebook ou Google, c'est peut-être le genre de truc sur lequel tu aimerais que je témoigne ? lulz. ;-)
Deuxième paragraphe Thierry. Regarde bien, deuxième paragraphe. C'est écrit en toutes lettre : Lessig.
RépondreSupprimerQuand à m'accuser de futilité sur les croisades FF/Twitter, je pense que tu as suivi le débat, et si tu trouve ma position futile, je pense que je m'abtiendrait de lire tes propos. Franchement, j'ai édité Lessig en France, et je ne crois vraiment pas faire parti de ceux qui jouent dans la futilité, en particulier sur des sujets comme l'impact des technologies dans la politique. Cette remarque est puérile.
Allez hop, un flux rss de moins dans mon aggrégateur. Bon lobbying.
1] Le deuxième paragraphe ici ne fait qu'introduire le contexte dans lequel Tim Wu intervient. Pour le véritable article sur Lessig, il faut lire le compte-rendu que j'ai fait.
RépondreSupprimer2] Tu ne réponds pas à la question que j'ai posée : ai-je utilisé Lawrence Lessig sur la neutralité du Net ? oui ou non ?
3] quant au paragraphe Twitter, Facebook, FriendFeed, je te ferais remarquer que tu prends facilement la mouche sur ce qui est de l'humour, la preuve, tu ne remarques pas le smiley à la fin.
4] Je suis désolé, mais tu aurais pu avant de poster ici, venir avec des arguments et me contredire, plutôt que de faire du largage. Mais tu n'étais pas venu pour avoir une discussion, manifestement.
Great poost
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